Crash social à l’aéroport de Genève?

de: Guy Zurkinden, rédacteur Services Publics

À l’AIG, les avions sont cloués sur le tarmac, mais les problèmes sociaux décollent. Le secteur SSP dénonce un «premier bilan social catastrophique». Échos du terrain.

Photo Eric Roset

À l’Aéroport international de Genève (AIG), précarité et menaces sur l’emploi sont exacerbées par des patrons qui n’hésitent pas à survoler les lois.

Swissport au lance-pierre

Ils ne sont plus que dix à quinze salariés par jour, au lieu de 300, à charger et décharger une poignée d’avions. Swissport, le principal prestataire de services au sol à l’AIG, est presque à l’arrêt. Tout le personnel est au chômage partiel. La multinationale ayant refusé de prendre en charge les 20% du salaire non remboursés par l’assurance-chômage, les pertes sont lourdes. «Nous touchons 80% de notre solde, mais continuons à payer les cotisations sociales sur un salaire entier. Certains collègues perdent 1200 francs chaque mois, sur 3500 de revenu mensuel» dénonce Max*, employé de la compagnie. Depuis la crise, Max ne reçoit ses plannings qu’avec une semaine d’avance, au lieu des deux prévus par le Code des Obligations. Pour sa collègue Virginie*, engagée avec le statut d’auxiliaire comme près de 40% des employé-e-s, la situation est encore plus corsée. «Je ne sais même pas sur quelle base mon revenu sera calculé. C’est le flou total.»

Pas de minimum chez Securitas

«On a l’impression qu’il n’y a pas de capitaine à bord». Employé chez Securitas, la société en charge de l’accueil des passagers à l’AIG, Francis* décrit une situation très semblable. Là aussi, la société a refusé de compenser les lacunes de l’assurance-chômage. Avec des salaires tournant autour de 23 francs de l’heure, la situation financière peut vite devenir difficile. Du côté des auxiliaires, la conjoncture est d’autant plus problématique que la CCT du secteur de la sécurité ne fixe quasiment pas de nombre d’heures minimales. «Ils risquent de se retrouver avec des horaires au plancher dans la période à venir, et donc des revenus trop bas pour vivre». Certain-e-s ont été employé-e-s à des tâches de sécurité en ville, non prévues par leur contrat.

Dur, dur chez easy

Depuis le 24 mars, les avions d’easyJet (900 employé-e-s réparti-e-s entre Bâle et Genève) sont au sol. Le personnel de cabine est au chômage technique. Généreuse envers son fondateur Stelios Haji-Ioannou, qui vient de recevoir 45 millions d’euros de dividendes, la compagnie l’est moins avec ses salarié-e-s. Un stewart à 100% y touche entre 4300 à 4400 francs nets mensuels, sans treizième salaire. Une part de ce revenu fluctue selon la durée des vols effectués le mois précédent. La moitié de cette part variable n’étant pas soumise aux cotisations sociales, les pertes liées au chômage partiel sont encore plus importantes. «En mai, certain-e-s d’entre nous ne toucheront que 70% du salaire de base» précise Roger*, employé de la compagnie.

Et demain?

À l’incertitude financière s’ajoute celle de l’emploi. «La direction s’est engagée à ne pas licencier celles et ceux qui ont accepté de se trouver en RHT. Mais seulement jusqu’à la fin juin. Au-delà, nous n’avons aucune garantie», indique Roger. Or easyJet, qui représente 45% du trafic passagers à l’AIG, menace de réduire sa flotte helvétique. L’impact serait brutal pour toutes les entreprises actives à l’aéroport. Par exemple chez Swissport, dont 300 employé-e-s travaillent uniquement pour la compagnie low cost. Là aussi, l’employeur refuse de donner de gages sur l’emploi. Sur le terrain, des collègues à l’essai et des temporaires ont déjà été «remercié-e-s».

Garantir l’emploi

Selon Jamshid Pouranpir, syndicaliste SSP, les infractions aux lois et aux CCT se multiplient: non-respect des délais pour les plannings de travail, tentatives de forcer les salarié-e-s au chômage partiel à prendre leurs vacances, menaces de licenciement en cas de refus de chômage partiel. «Les entreprises ont d’abord refusé de protéger leurs employé-e-s face au coronavirus. Aujourd’hui, elles veulent leur faire payer la crise. C’est d’autant plus scandaleux que ce ces entreprises quémandent des aides publiques».

Le SSP revendique le paiement des salaires à 100% et le respect du dispositif légal. Il exige aussi que les sociétés bénéficiant de l’aide publique aient une interdiction de licencier et gèlent les dividendes.

*Tous les prénoms cités dans cet article sont fictifs.


Contexte

Un secteur dans la tourmente

L’Association internationale du transport aérien chiffre à 314 milliards de dollars la baisse du chiffre d’affaires des compagnies aériennes en 2020 en raison de la crise du coronavirus – une chute de 55% par rapport à 2019.

L’Aéroport international de Genève (AIG) ne fait pas exception. easyJet, qui représente plus de 50% des mouvements à l’AIG, a l’ensemble de sa flotte clouée au sol; Swiss a annulé les 95% de ses vols. Selon Carsten Spohr, patron de la compagnie allemande Lufthansa, propriétaire de Swiss, le trafic aérien pourrait mettre plusieurs années à retrouver son niveau d’avant crise.

Swiss et easyJet ont demandé une aide financière au Conseil fédéral. Elles ont été suivies par Swissport, principal opérateur au sol à l’AIG – dont le CEO, Eric Born, a annoncé qu’il pourrait manquer de liquidités d’ici juin.

Le Conseil fédéral devrait annoncer fin avril des mesures visant à sauver le secteur aérien en Suisse – probablement sous la forme de garanties publiques à des prêts bancaires massifs. L’Union syndicale suisse défend aussi l’idée d’un plan de sauvetage pour le secteur.

Dans une lettre ouverte adressée au Conseil fédéral, soutenue notamment par la conseillère aux Etats (Les Verts) Lisa Mazzone, quarante-six organisations et partis politiques lui demandent de lier toute aide au secteur aérien à des mesures de protection des salarié-e-s, ainsi que des objectifs clairs en matière climatique.