Spirale vers le bas à l’aéroport

de: Interview "Services Publics"

Licenciements en cascade, attaques frontales contre les salaires: le secteur aérien est dans la tourmente. Le point avec Jamshid Pouranpir, secrétaire syndical de la section Trafic aérien du SSP.

Photo Eric Roset

Quelles sont les conséquences de la crise du secteur aérien pour les salarié-e-s ?

Jamshid Pouranpir – À l’aéroport de Zurich, les sociétés SR Technics (maintenance) et Gate Gourmet (catering) ont annoncé des centaines de licenciements.

Sous la pression de Swiss, qui exige une baisse des tarifs de 15%, Swissport veut sabrer les salaires de 20%. Le personnel s’y oppose et a voté un préavis de grève.

À l’Aéroport international de Genève (AIG), aucune entreprise n’a encore proposé une telle mesure. Mais les velléités de démantèlement sont là. Le délai légal (deux semaines au minimum) pour la remise des plannings de travail n’est pas respecté; certain-e-s salarié-e-s arrivent au boulot et sont renvoyé-e-s à la maison, aux frais du mécanisme de réduction de l’horaire de travail (RHT).

Chez Swissport, la situation est tendue…

La CCT Swissport (1200 employé-e-s à l’AIG) a été étendue jusqu’à fin septembre de cette année. Les négociations sont très difficiles. La direction veut baisser les salaires des 150 ex-employé-e-s de Swissair, qui sont au plafond de la grille salariale. En contrepartie, elle propose d’utiliser le montant économisé pour améliorer les conditions des auxiliaires – qui sont 400 aujourd’hui –, un statut précaire que la compagnie voudrait généraliser.

La direction veut donc baisser la rémunération de salarié-e-s qui se cassent le dos depuis trente ans et étendre la précarité. Pour cela, elle tente de diviser le personnel. Et brandit la menace d’un vide conventionnel dès octobre.

Qu’en est-il des licenciements à l’AIG ?

Gate Gourmet a annoncé qu’elle licencierait 69 employé-e-s, sur un total de 180. La direction veut appliquer un plan social au rabais, dont seraient exclu-e-s la plupart des personnes licenciées. Nous demandons de notre côté que tout le monde soit inclus.

Air France KLM a décidé de délocaliser ses services au sol vers les pays de l’Est et licencie une trentaine d’employé-e-s à Cointrin. Le SSP exige un plan social.

Newrest et Canonica, entreprises de catering, ont aussi annoncé des licenciements, de même que Duty Free. Pour Swiss, le flou règne; en ce qui concerne easyJet, on devrait en savoir plus sur ses intentions début septembre.

Il est probable que les annonces de licenciements se multiplient dans les semaines à venir.

Autre gros souci: les mesures extraordinaires décrétées par le Conseil fédéral, notamment l’extension de la RHT aux employé-e-s sur appel et temporaires, prendront fin début septembre. Qu’adviendra-t-il de ces salarié-e-s précaires?

Que demandent les syndicats ?

Les sociétés actives à l’AIG n’ont aucune raison de licencier ou de s’attaquer aux conditions de travail du personnel: elles paient aujourd’hui des charges salariales minimes, car elles font toutes recours à la RHT. Or grâce à ce système, elles récupèrent les salaires versés (80% du salaire normal) !

Nous considérons donc comme abusifs les licenciements prononcés par ces entreprises bénéficiant de la RHT.

Nous demandons la création urgente d’un fonds de compensation. Alimenté par les entreprises et l’Etat de Genève, il devrait venir en aide aux employé-e-s précarisé-e-s.

Vous dénoncez le nombre croissant de working poor à l’AIG…

Dans cette crise, les précaires paient le prix fort. Prenons l’exemple du personnel auxiliaire de GVA assistance, une société qui aide les personnes à mobilité réduite à aller jusqu’à l’avion. Il n’a bénéficié d’aucune heure de travail depuis le début de la pandémie, touchant ainsi les 80% d’un salaire horaire de 20 francs bruts, à temps partiel. Alors qu’il paie des cotisations sociales calculées sur l’entier du salaire !

Transformer les statuts précaires en postes fixes doit être une priorité.

Le mouvement pour le climat demande une réduction des secteurs économiques très polluants, notamment celui de l’aviation. Comment combiner défense des salarié-e-s et de l’environnement ?

En tant que syndicat, nous défendons les conditions de travail et de salaire des 11 000 salarié-e-s de l’AIG.

La question climatique est cependant cruciale, et il est clair que les compagnies d’aviation n’ont aucune volonté de réellement réduire leurs émissions de CO2. Aujourd’hui, ces compagnies licencient massivement.

Même si ce débat n’est pas toujours facile à mener, je pense que nous devons avancer dans le sens d’une justice climatique et sociale garantissant à toutes et tous un emploi, des conditions de travail et de revenu dignes. La revendication des jeunes pour le climat de créer des emplois « verts » et de favoriser la formation et la reconversion professionnelle va dans ce sens.

Mener ensemble ce débat est plus urgent que jamais.