«Débrayer, c’est le bon outil»

de: Interview «Services Publics», n° 12, 20 août 2021

Le 14 juillet, une partie des salarié-e-s de Swissport ont débrayé, forçant la direction à signer une CCT «de crise». Questions à Arthur, employé de l’entreprise.

Photo Eric Roset

Quelle est la situation chez Swissport, après une année et demi de crise du secteur aérien?

Arthur – De mars 2020 à juin 2021, il y a eu très peu de boulot en raison de la crise sanitaire. Les 1000 salarié-e-s de Swissport à l’aéroport de Genève (AIG) ont subi le régime de réduction de l’horaire de travail (RHT). Nous travaillions seulement deux à trois jours par mois. Cette situation a entraîné une baisse de 20% de notre revenu. Au début, c’était un choc. Nous avons dû nous y adapter et revoir notre niveau de vie à la baisse.

Depuis juin, en raison de l’avancée de la vaccination, le trafic aérien a repris. La plupart des collègues, fixes comme auxiliaires, effectuent leur horaire de travail presque normalement. Nous n’avons plus que 4 à 5 heures de RHT par semaine.

Qu’en est-il des conditions de travail?

En début d’année, Swissport a profité de la crise pour nous imposer un nouveau contrat de travail. Entré en vigueur en juin, ce dernier a entraîné d’importants reculs: fortes baisses des salaires, hausse de la cotisation LPP à la charge des employé-e-s, augmentation du temps de travail (de 40 à 41,25 heures hebdomadaires), suppression de plusieurs primes, annualisation des horaires de travail. En résumé, nous travaillons plus longtemps pour un salaire plus bas. En parallèle, nous devons effectuer plus de tâches: auparavant, je devais prendre les bagages et les amener aux avions; maintenant, je dois aussi les porter et les trier. Ces derniers temps, la direction a même demandé aux salarié-e-s du tri bagages d’aller travailler sur la piste, une première. Elle veut aussi généraliser les horaires coupés.

Y a-t-il eu des licenciements?

Il n’y a pas eu de licenciements secs. Mais les salarié-e-s – une vingtaine de personnes – qui ont refusé de signer le nouveau contrat de travail, revu à la baisse, ont été viré-e-s

Quel est l’état d’esprit des collègues?

Le mécontentement est très fort. Les gens sont dégoûtés par la politique de démantèlement de Swissport. Beaucoup démissionnent ou cherchent un autre travail. Il y a aussi de nombreux arrêts maladie dus aux mauvaises conditions de travail. C’est cette colère qui a permis le débrayage du 14 juillet.

Comment s’est déroulé cet arrêt de travail?

Le mouvement a commencé à 17h et a duré jusqu’à 20h. Des salarié-e-s de la piste, du fret, du check-in et du tri bagages y ont participé – quelques dizaines de personnes sur les deux cents travaillant ce jour-là. Le débrayage n’avait pas été annoncé, ce qui a permis de bloquer une trentaine de vols. Les perturbations ont été importantes: des avions sont repartis sans bagages, des valises n’ont pas été déchargées, des passagers ont eu du mal à descendre des avions – Swissport a même dû faire recours à des pompiers, qui ont posé des échelles pour permettre à certain-e-s voyageurs-euses de sortir des avions ! Sur toute la fin de journée, les retards se sont accumulés.

Quelle a été la réaction de Swissport?

La direction a crié au scandale et dénoncé une grève «illégale».

Elle s’est à nouveau illustrée par sa politique antisyndicale, en décidant de donner un bon de 60 francs aux non-grévistes, tout en refusant de payer leurs heures à celles et ceux qui avaient arrêté le travail.

La réalité, c’est que trois heures de débrayage représentent des dizaines de milliers de francs de pertes pour la compagnie. Pour cette raison, la direction s’est aussitôt mise à la table de négociation avec les syndicats: elle a compris que si un arrêt de travail était organisé sur le week-end, cela ferait très mal. La CCT de crise est la conséquence directe du débrayage. Elle montre qu’il s’agit du bon outil pour défendre nos intérêts: le seul langage que comprend Swissport est celui du rapport de forces!

Que pensez-vous cet «accord de crise»?

La «CCT de crise» représente une avancée par rapport aux contrats au rabais imposés par Swissport en juin.

La nouvelle grille salariale reste cependant en vigueur, alors qu’elle entraîne des baisses de revenu de 1000 francs par mois pour certain-e-s collègues. L’augmentation du temps de travail demeure aussi.

Je pense donc que cet accord ne va pas assez loin et qu’il aurait fallu continuer les actions pour renforcer la pression sur la direction et décrocher des améliorations sur ces points décisifs. C’était la position du SSP. Mais en assemblée, une majorité du personnel a voté en faveur de l’accord de crise. Nous acceptons ce verdict.

Et la suite?

Nous entamerons en octobre les négociations sur une nouvelle CCT, dans un climat qui reste difficile, marqué par la crise sanitaire et la crainte de perdre son emploi.

Pour nous, la priorité sera de revenir aux conditions de l’ancienne CCT. Elle était loin d’être parfaite, mais ses conditions – en matière de salaires, de retraites et de temps de travail – étaient nettement supérieures à l’accord signé en juin.

Nous savons que Swissport fera tout pour éviter ce scénario. Pour gagner, nous devrons donc réorganiser des débrayages ou des grèves, sur une certaine durée. La clé du succès sera notre capacité à mobiliser les collègues.


Repérages

Prochain round dès octobre

Début janvier, profitant d’un vide conventionnel, la direction de Swissport communiquait à ses 1000 employé-e-s qu’elle imposerait de nouveaux contrats de travail. Avec, à la clé, une détérioration massive des conditions de travail et de salaire.

Dans un aéroport rendu désert par la crise, les manifestations des salarié-e-s ne réussissaient pas à faire plier la direction – pas plus que la médiation menée sous l’égide de l’ancien conseiller d’Etat David Hiler. Le 1er juin dernier, les nouveaux contrats entraient en vigueur.

Le débrayage du 14 juillet a changé la donne, forçant Swissport à négocier une CCT de crise. Entré en vigueur rétroactivement au 1er juin et valable jusqu’à la fin février 2022, l’accord prévoit quelques primes supplémentaires, notamment pour le check-in; il introduit des compensations pour les salarié-e-s ayant subi les pertes de salaires les plus élevées; il rétablit la participation de l’entreprise aux primes d’assurance maladie (200 francs par mois), limitée au personnel fixe, ainsi que l’indemnité pour port de charges aux auxiliaires; il rétablit le plafond fixé à l’emploi des auxiliaires (1400 heures par an).

Les syndicats Avenir syndical et SEV ont salué l’accord. Le SSP, de son côté, estime qu’il ne s’agit que d’un «petit pas», Swissport ayant maintenu les baisses salariales et l’augmentation du temps de travail. «Le personnel a accepté cette couleuvre dans l’espoir de retrouver des conditions de travail dignes dès la fin de la crise», ajoute le syndicat. Et de donner rendez-vous en octobre, pour les négociations en vue d’une nouvelle CCT.