«Même plus de quoi acheter à manger»

Aéroport de Genève – Après plusieurs mobilisations, des négociations se sont ouvertes avec la direction de Swissport. James*, employé par la compagnie depuis plusieurs années, nous explique sa situation, ses conditions de travail et ses craintes.

Photo Eric Roset

Depuis le printemps, l’aéroport de Genève tourne au ralenti. Quelles sont les conséquences pour vous?

James – Comme tous mes collègues, je suis au chômage partiel depuis mars. Cela fait neuf mois que je touche moins de 3000 francs mensuels. Juste de quoi payer juste mes charges. À la fin du mois, je n’ai même plus de quoi acheter à manger.

En janvier, la direction vous a «proposé» un nouveau contrat de travail. Concrètement, quels effets pour vous si vous acceptiez ces nouvelles conditions?

Je perdrais près de 500 francs par mois. Mon revenu ne me permettrait pas de survivre à Genève.

Beaucoup de collègues sont dans la même situation que moi. Swissport engage de plus en plus rarement à 100%. Ils préfèrent des horaires hebdomadaires plus courts, plus modulables, pour boucher les trous. De plus, ces dernières années, de nombreux employés ont dû baisser leur taux d’activité en raison de conditions de travail très dures – quand ils n’ont pas fait une dépression ou un burn-out. Ils touchent donc des revenus très bas. Avec les baisses imposées aujourd’hui, ils se retrouvent dans une situation impossible.

Qu’est-ce qui rend votre travail si pénible?

Sur la piste, le métier peut être dangereux en raison des conditions extérieures (neige, glace, chaleur). Dans la soute, si tu ne prends pas les bonnes postures, tu peux endommager ta colonne vertébrale, avec des conséquences irrémédiables. Même chose au tri-bagages, avec souvent des pièces qui pèsent plus de trente kilos. Il y a d’ailleurs beaucoup d’accidents.

Au service passager, le stress est difficile à supporter. Travailler neuf heures par jours en courant d’un avion à l’autre, avec parfois seulement cinq minutes pour se rendre à un embarquement, c’est l’enfer.

Les gens oublient que l’aéroport de Genève a été conçu pour 6 millions de passagers par an. Or depuis qu’il y a easyJet, l’AIG en accueille 18 millions.

Une des conséquences, c’est la baisse des temps de rotation. Pour un grand nombre de compagnies, on n’a plus que quarante minutes pour débarquer-embarquer un avion. Donc le stress est extrême pour les employés. Si vous êtes au service passager et que l’avion est en retard, vous devrez en plus vous justifier. L’entreprise essaiera de vous mettre la faute dessus. C’est une pression en plus.

Pour les passagers, cette situation a aussi des conséquences. Aujourd’hui, par manque de temps, la plupart des avions ne sont pas désinfectés entre les vols, alors qu’on est en pleine pandémie.

Que pensez-vous faire?

Je veux continuer à travailler, mais je ne peux pas accepter le contrat proposé par la direction. Je ne veux pas bosser d’arrache-pied pour m’endetter chaque fin de mois – puis me retrouver aux poursuites.

Le dilemme est pénible. Si nous nous retrouvons sans emploi, nous savons qu’il sera difficile de trouver un nouveau job. De plus, nous serons pénalisés par la caisse de chômage.

Mais même si nous signons le nouveau contrat, nous risquons d’être licenciés cet automne, lorsque les RHT arriveront à leur fin. Car tout indique que la crise du secteur aérien va continuer.

Vous avez espoir en la médiation ouverte après l’intervention du Conseil d’Etat?

C’est un pas en avant.

Cependant, il ne faut pas oublier que tant la direction de l’aéroport que l’Etat de Genève se sont impliqués pour ouvrir l’AIG à easyJet.

Or il n’y a pas besoin d’avoir fait l’université pour comprendre que si une compagnie vend un billet à 40 francs, elle devra ensuite limiter les charges en faisant pression sur les prix. Ces dernières années, les coûts de toutes les prestations aux compagnies ont ainsi été revus à la baisse. La direction de l’aéroport alimente cette pression vers le bas.

La conséquence, c’est que les salariés gagnent de moins en moins. Alors que le coût de la vie n’a pas baissé à Genève. Au contraire.

Ce qui est positif, c’est qu’il semble qu’une majorité du Grand Conseil genevois a compris cette situation, en votant une résolution de soutien à nos revendications.

*Prénom fictif