Trou d’air programmé chez Custodio

Salaires au plancher, flexibilité maximale, climat d’intimidation et épuisement: la colère gronde au sein de la société Custodio, en charge de la sécurité au sein de l’aéroport de Genève. Le SSP s’attend à des mobilisations avant la fin de l’année.

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Trois sociétés sont chargées de contrôler la sécurité des passagers-ères et des bagages à l’aéroport international de Genève (AIG). Genève Aéroport, qui a ses propres employé-e-s, se partage cette tâche avec les sociétés privées Protectas et Custodio. Custodio est une filiale de Securitas SA, la plus importante entreprise de sécurité en Suisse. Le choix, en 2018, d’attribuer un mandat de sécurité à Custodio – qui arrivera à échéance au mois d’octobre 2023 – a fait de nombreuses vagues, en raison de soupçons de copinage et de violation des règles d’attribution des marchés. En 2019, le Ministère public a notamment ouvert une procédure contre inconnu après avoir été informé par la Cour des comptes de «possibles dysfonctionnements lors de la procédure d'adjudication intervenue en 2018».

«Gabegie totale»

Depuis plusieurs mois, c’est en raison des plaintes de son personnel que Custodio se retrouve en zone de turbulences. La section Trafic aérien du SSP dénonce même une «gabegie totale» depuis la reprise des activités aéroportuaires, fortement freinées en 2020 et 2021 par les premières vagues de Covid-19. Selon le syndicat, un tiers des 130 employé-e-s se trouvaient en arrêt maladie au début novembre. Le symptôme d’un climat de travail délétère.

Cet été, la quasi-totalité des salarié-e-s de Custodio ont signé une pétition exprimant une série de revendications – et donnant mandat au SSP de les défendre face à l’employeur. Le texte demandait notamment une revalorisation salariale, le respect du temps de repos, la prise en charge par l’employeur du lavage et de l’entretien de l’uniforme. Les signataires revendiquaient aussi l’octroi d’une semaine entière de vacances – au lieu de 5 jours –, une meilleure rémunération du travail de nuit, le dimanche et jours fériés, la suppression des heures négatives accumulées durant les périodes de chômage partiel (RHT, lié à la crise Covid), la fin des horaires «démentiels» et l’octroi du planning de travail avec deux mois d’avance.

Custodio s’entête

L’employeur refusant d’accéder à ces revendications, le SSP a lancé une tentative de conciliation devant la Chambre des relations collectives de travail (CRCT). Menée en octobre, la conciliation a échoué «en raison de l’imperméabilité de la direction aux doléances du personnel», dénonce le syndicat. Seule avancée: l’octroi par la direction de Custodio d’une semaine entière de vacances – la société avait pour habitude d’appeler ses salarié-e-s à travailler le samedi matin suivant cinq jours de vacances, pris du lundi au vendredi. Désormais, les employé-e-s auront droit à un week-end de congé avant et après leurs jours de vacances.

En revanche, la direction refuse toute revalorisation du travail des dimanches et la nuit – ainsi que toute hausse significative des salaires. Pour justifier sa position, Custodio invoque sa participation à la Convention collective de travail (CCT) de la branche des services de sécurité privés – une CCT prévoyant des salaires et un niveau de protection des salarié-e-s très bas, dont le SSP n’est pas signataire.

Fin d’année agitée?

«Les conditions de travail imposées par Custodio brisent la santé des salarié-e-s» dénonce Jamshid Pouranpir, secrétaire syndical à la section Trafic aérien du SSP. Le syndicaliste se dit déterminé à soutenir les revendications du personnel par tous les moyens, et indique que des actions de lutte sont probables avant la fin de l’année. «La responsabilité d’éventuelles perturbations incombera aux dirigeants de Custodio, ainsi qu’à la direction de l’aéroport. Une entité publique ne doit pas soutenir la sous-enchère!», conclut-il.


Témoignage

Simon*, agent de sécurité chez Custodio

«Agent de sécurité aéroportuaire, c’est un travail physique et exigeant. La surveillance des passagers-ères et des bagages implique une vigilance de chaque instant. D’ailleurs, cette vigilance est régulièrement testée par notre direction, qui envoie des ‘passagers-ères mystère’ muni-e-s de fausses bombes que nous devons détecter. À cela s’ajoutent les horaires irréguliers, y compris la nuit, sept jours sur sept et le travail en équipes, tout cela dans ce monde si particulier qu’est un aéroport.

Malgré ces difficultés, nous aimons notre métier. Le problème, c’est que Custodio nous impose des conditions et une ambiance de travail catastrophiques.

Il y a d’abord les salaires, qui sont très bas: 3800 francs bruts pour un 80%, 4250 francs pour un 100%, alors que les employé-e-s de Genève Aéroport touchent presque le double! La direction de Custodio applique les barèmes de la convention collective nationale (CCT) prévue pour les entreprises de la sécurité privée. Mais nous pratiquons la sécurité aéroportuaire, un domaine très spécifique et exposé, qui nous impose de suivre régulièrement des formations poussées. C’est une réalité très différente!

Cet été, nous avons donc signé massivement une pétition demandant, entre autres, une revalorisation de nos salaires. Custodio nous a octroyé une augmentation de 3% en janvier 2023, qu’elle a présentée comme un ‘geste exceptionnel’ sous prétexte que la CCT nationale prévoit une augmentation de 0,6%. Or ce que nous demandons, c’est une vraie revalorisation salariale – alors que ces 3% ne couvriront même pas la hausse réelle du coût de la vie! En parallèle, nous avons appris que l’aéroport de Genève va augmenter la subvention versée à Custodio pour chaque employé. Ces 3% ne coûteront donc rien à la société!

Parmi le personnel, la colère gronde. Pour nous, l’attitude de Custodio est insultante. Nous ne demandons pas la lune, juste une reconnaissance salariale de la pénibilité de notre profession!

L’autre grand problème, c’est le temps de travail et de repos. Souvent, nous travaillons cinq jours d’affilée en prenant notre poste à 4 heures du matin (ce qui implique de se lever à 2 h 30) et en le tenant jusqu’à 13 h. Après un jour de repos, nous repartons pour cinq jours de labeur, cette fois avec un horaire différent (de 13 h à 21 h 15, ou de 15 h à minuit), ce qui dérègle notre horloge biologique. La direction nous a promis un tournus prévoyant quatre jours de travail, suivi de deux jours de repos. Mais ce planning n’est pas appliqué

Ce sont les travailleuses et travailleurs auxiliaires, que l’entreprise recrute massivement, qui se voient imposer la flexibilité la plus grande. Ces salarié-e-s doivent rester à disposition de l’employeur en tout temps et travaillent parfois six jours d’affilée. La direction de l’AIG a été mise au courant de cette situation, mais ne bouge pas. C’est honteux.

Avec de telles conditions, les gens sont fatigués, à cran. Le rythme imposé par Custodio est tenable sur un an. Ensuite, les gens craquent. Il y a beaucoup d’absentéisme, souvent de longue durée. Pour éviter tout soulèvement, Custodio fait régner un climat de peur. Elle envoie des lettres aux employé-e-s, insistant sur la paix absolue du travail prévue par la CCT de la sécurité privée – que nous n’avons jamais signée! – et nous menaçant de représailles en cas de grève. En parallèle, la direction multiplie les rapports et les protocoles dès qu’un-e salarié-e fait une faute. Elle tente de nous monter les un-e-s contre les autres. C’est un vrai management de la peur! Objectif: éviter que le personnel ne s’unisse.

Les pressions n’épargnent pas les malades. Axa, l’assurance perte de gain maladie de Custodio, nous met sous pression pour que nous signions une procuration permettant à des tiers – y compris l’employeur – d’avoir accès à notre dossier médical. Des collègues ont été contacté-e-s car ils ou elles n’ont pas signé la procuration, et se voient privé-e-s de contrat à plein temps pour cette raison! Des employé-e-s en congé maladie ont été appelé-e-s plusieurs fois durant leur arrêt de travail par les services de Custodio, qui leur demandaient de manière insistante de remplir le formulaire Axa. Dans le cas contraire, on leur indique qu’ils-elles ne toucheront pas leur indemnité perte de gain complète. Tout cela est scandaleux!

Les pressions de notre employeur font peur à certain-e-s collègues. Malgré tout, le ras-le-bol est si grand qu’une majorité du personnel est prête à se mobiliser. Nous sommes déterminé-e-s à mener des actions syndicales avant la fin de l’année. Malheureusement, ce sont les passagères et passagers qui feront les frais de la politique catastrophique de Custodio».

*prénom d’emprunt