«On est parti·es de rien et on l’a fait»

de: Interview "Services Publics"

Le dimanche 24 décembre à l’Aéroport de Genève, les salarié·es de l’entreprise Dnata se mettaient en grève et obtenaient satisfaction sur leurs revendications après huit heures de débrayage. Retour sur cette mobilisation avec deux des animateurs·trices du mouvement.

Eric Roset

Quel a été le déclencheur de la mobilisation de cet automne qui a culminé avec la grève du 24 décembre?

Marie* – Le mouvement de décembre s’est construit contre la modification du plan de retraite en notre défaveur, mais la grogne ne date pas d’aujourd’hui chez Dnata, notamment depuis le covid. Il y avait une colère et un ras-le-bol latents depuis des années (incompréhension sur les salaires pendant la pandémie, reprise en sous-effectif, primes distribuées de manière non transparente), on en parlait par petits groupes de quatre ou cinq mais on avait peur des représailles. Finalement on prenait sur soi. Et puis le 28 septembre 2023, on apprend par l’application qu’il y a un changement au niveau de notre caisse de retraite avec une modification des taux à la baisse. Et la mise en vigueur est annoncée pour le dimanche 1er octobre!

Pierre* – Ça faisait longtemps qu’on subissait des dégradations de nos conditions de travail, c’est vrai. Et quand j’ai appris que la caisse de retraite allait baisser, ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. J’ai passé la soirée à me renseigner sur la LPP puis j’ai contacté Jamshid Pouranpir, le syndicaliste du SSP, qui m’a expliqué qu’il fallait que mes collègues se mobilisent pour pouvoir intervenir. J’ai commencé par créer un groupe WhatsApp et on a contacté les collègues et ça a fait boule de neige, le groupe a grandi, grandi.

Marie – On a fait une première assemblée générale le 9 octobre avec beaucoup de collègues présent-e-s et là, les langues se sont déliées. On a réalisé qu’on avait perdu beaucoup dans nos conditions de travail et qu’on perdait beaucoup avec la caisse de retraite: certain-e-s, les jeunes surtout, perdaient 100'000 - 120'000 francs. Le SSP avait demandé une discussion avec la direction, qui a décliné, et donc on a décidé d’aller à la CRCT (Chambre des relations collectives de travail) pour négocier avec la direction un retour à l’ancien système de caisse de retraite, et aussi discuter d’une CCT parce que nos conditions ne sont pas faciles (horaires irréguliers, stress, équipes incomplètes, etc.) et que les collègues de Swissport ont de meilleures conditions que nous. Il y a eu des séances de négociations entre novembre et décembre.

Pierre – Pour aller à la CRCT, il a fallu constituer une délégation du personnel qui regroupait tous les secteurs et on était neuf dans la délégation. On faisait à chaque fois des retours aux collègues sur le groupe WhatsApp et puis on organisait des assemblées générales pour décider. À la fin des discussions, ce n’était pas satisfaisant: on avait un retour en arrière partiel sur la LPP mais pas d’avancée sur les primes qu’on demandait, ni rien d’autre, on voyait bien qu’en face on avait un mur insurmontable. C’est là qu’on a décidé de faire grève et on l’a votée en assemblée générale le 18 décembre.

Comment s’est passée la préparation concrète de la grève?

Marie – On a lancé le préavis de grève et là, la direction a décidé de saisir la CRCT pour empêcher la grève et jouer la montre. Rebelotte, nous y allons et la direction a proposé d’augmenter les salaires mais en dessous de notre demande de 5%. Ils nous disent aussi que si on fait grève, ce ne sera pas légal. On a fini les discussions le 21 décembre et on a fait un vote le lendemain pour savoir si on allait faire grève ou non et la majorité a tranché pour la grève.

Pour la date de la grève, on se doutait qu’il y avait des fuites. On a appris que la direction pensait qu’on allait faire la grève le samedi 23 décembre car elle avait prévu des briseurs-euses de grève pour nous remplacer (employé-e-s de Swissport, pompiers-ères).

Pierre – Face à ce dispositif, on a décidé de ne pas faire grève le 23 décembre, on est même allé-e-s travailler avec le sourire, deux fois plus que d’habitude même. La direction avait envoyé des messages pour dire qu’on n’avait pas le droit de faire grève et qu’on pouvait même être licencié-e-s si on la faisait. Certain-e-s ont eu peur mais les collègues étaient bouillant-e-s et prêt-e-s à faire la grève, alors on a décidé de commencer la grève le dimanche 24 décembre à partir de 4 heures du matin: des collègues nous envoyaient des vidéos des pancartes qu’ils-elles préparaient et ça nous motivait encore plus. Suite à la grève, les négociations ont vite commencé et la direction a accepté nos revendications: retour à l’ancien règlement de la caisse de retraite, augmentations de salaire de 3%, prime de 500 francs pour tout le monde (au prorata du taux d’occupation), augmentation des suppléments, des primes de pénibilité, engagement à signer une CCT, paiement des heures de grève. Il reste encore à négocier la CCT avec beaucoup de points pour améliorer le bien-être au travail, mais on part sur de bonnes bases.

«On se sent assez fiers-ères de ce qu’on a fait»


Comment la mobilisation s’est-elle construite?

Marie – Je suis fière de m’être embarquée dans cette aventure! Au départ, il y a des gens qui ne savaient pas ce que c’était que la LPP, on a dû expliquer les choses, on leur disait de nous rejoindre, de venir à la réunion. On a eu parfois du mal à convaincre certains départements, mais on a insisté et, finalement, ça a pris. Il y avait une immense énergie, les gens s’inscrivaient sur le groupe puis au syndicat, il y avait des bulletins d’inscription au syndicat un peu partout dans les locaux!

Pierre – J’avais déjà participé à la mobilisation de 2010 mais j’étais moins actif. Là, on a commencé par faire ce groupe WhatsApp, d’abord avec les collègues de confiance, et on s’est mis à contacter tout le monde pour expliquer la situation et l’importance de se bouger ensemble pour défendre nos droits. On demandait d’abord s’ils-elles acceptaient de faire partie du groupe pour avoir les informations, puis on parlait de devenir membres du syndicat pour pouvoir être soutenu-e-s en cas de conflits, être appuyé-e-s par un avocat, etc. On se procurait des numéros de téléphone, on parlait aux collègues le soir, un-e à un-e, même à des gens qu’on ne connaissait pas vraiment et on expliquait l’histoire de la caisse de retraite en leur disant «c’est ton argent, ce sont nos droits». Et c’est pendant ces discussions que la question de la CCT est apparue parce qu’il y avait vraiment beaucoup de choses à régler dans nos conditions de travail qui baissaient depuis plusieurs années. Le groupe a grandi, ça a fait boule de neige, des collègues nous contactaient pour nous dire de rajouter untel ou unetelle, etc. Le syndicat aussi a grossi, on ne sait plus combien de gens on a inscrits, mais c’était beaucoup. Tout le monde était informé des discussions à la CRCT et l’attitude de la direction galvanisait les gens. De plus en plus de collègues étaient impatient-e-s et nous trouvaient parfois trop mous-molles, alors on devait expliquer comment se passaient les choses, mais c’était signe que les gens étaient chauds. Honnêtement, on se sent assez fiers-ères de ce qu’on a fait.


*: Prénoms d’emprunt